La République unie de Tanzanie assure la présidence du Groupe ACP du 1er février au 1er août 2014. Durant cette période, S.E. Dr Diodorus Kamala présidera le Comité des ambassadeurs ACP, un des organes de décision du Groupe ACP, qui rend compte au Conseil des ministres. Lors d'une interview exclusive, le service Presse ACP a recueilli les vues de l'ancien ministre tanzanien de la Coopération est-africaine sur les défis actuels auxquels est confronté le Groupe ACP , ainsi que sa vision de l'avenir.

Presse ACP: Quelles sont les questions clés sur lesquelles le Groupe ACP, en particulier le Comité des ambassadeurs, aura à se pencher cette année?

S.E. Dr Diodorus Kamala: Il y en a plusieurs, mais l'une des plus importantes est celle des Accords de partenariat économique que nous négocions depuis 2002. Nous devons faire le bilan de ces négociations et de la mise en œuvre des accords qui ont été déjà signés. Les pays qui concluent un APE doivent s'assurer que son contenu est conforme aux dispositions de l'Accord de partenariat ACP-UE de Cotonou, c'est-à-dire qu'il est axé sur le développement, et qu'il est de nature à promouvoir l'intégration régionale et l'insertion de nos pays dans l'économie mondiale.

Le deuxième enjeu est lié à la stratégie commune ACP-UE pour le développement du secteur privé, qui vise à maintenir un rythme de croissance soutenu pour le secteur privé dans les pays ACP. Une dotation sera prévue dans le 11ème FED à cet effet, et nous espérons que d'ici le mois juin, une stratégie commune sera mise au point et approuvée par le Comité des ambassadeurs conjoint. Il nous faut également arrêter d'ici cette date une position commune ACP-UE sur le programme de développement pour l'après-2015.

Enfin, nous avons entamé une réflexion approfondie sur l'avenir du Groupe ACP. Comme vous le savez, l'Accord de partenariat ACP-EU de Cotonou arrive à expiration en 2020, et nous devons nous interroger sur ce qu'il se passera après. Le Comité des ambassadeurs a mis en place un groupe de travail sur les perspectives d'avenir qui est chargé de réfléchir à cette question, et un groupe d'éminentes personnalités (GEP) également créé s'emploie à établir son propre rapport qu’il soumettra au Sommet des Chefs d'État et de gouvernement ACP prévu au Suriname vers la fin de l'année.

PACP: Les négociations des APE sont donc en passe d'être enfin conclues cette année?

DK: Dans toute négociation, il convient de rester toujours positif. Je suis convaincu que nous parviendrons à un accord – ou que nous prendrons acte de nos désaccords -, et que des options intéressantes seront proposées aux régions qui n'auront pas été en mesure de conclure un APE. Comme vous le savez, la «date butoir» du 1er octobre 2014 a été fixée pour les pays ACP qui négocient des accords commerciaux avec l'UE. Si tout n'est pas mis en œuvre pour ratifier un accord avant cette échéance, les pays concernés perdront les privilèges commerciaux dont ils bénéficient actuellement. Ils seront dès lors soumis à un régime préférentiel différent [Initiative «Tous sauf les armes», SPG ou SPG+], ou devront payer l'intégralité des droits d'entrée de leurs produits dans l'UE.

Cependant, au regard de l'ampleur des accords en négociation, les points de convergence sont plus nombreux que les divergences. Des désaccords subsistent sur trois principales questions, à savoir les taxes à l'exportation, la clause de la nation la plus favorisée et les règles d'origine. Il existe un quatrième point d'achoppement qui est la dimension développement. Jusqu'ici, la partie européenne ne s'était pas montrée vraiment disposée à nous aider à lever les contraintes liées à l'offre, mais il semble qu'elle soit maintenant ouverte à des discussions sur ce sujet avec les ACP. Bien sûr, la question du financement se pose. En effet, d'où proviendront des ressources additionnelles, étant donné que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a déjà été convenu? Mais, on ne sait jamais. A cet égard, la volonté et l’engagement politiques sont nécessaires. Il est également important d'établir une relation de confiance mutuelle.

PACP: Justement, le Groupe ACP et l'UE se font-ils confiance?

DK: Je crois que oui. Nous sommes ensemble depuis longtemps, depuis des décennies. Toutefois, la confiance peut être mise à rude épreuve dans toute relation, et je crois que c'est le cas en ce moment. De toute façon, nous devrons en fin de compte mettre nos activités commerciales, que ce soit avec l'UE ou avec tout autre partenaire, en conformité avec les règles de l'OMC. Ce qui importe, c'est la façon dont vous négociez, que vous soyez ou non en mesure de négocier un bon APE. Comme je l'ai déjà souligné, les APE doivent être axés sur le développement, appuyer l'intégration régionale et promouvoir l'insertion des pays ACP dans l'économie mondiale. En d'autres termes, ils doivent être compatibles avec les règles de l'OMC et avec les dispositions de l'Accord de Cotonou.

ACPP: Sur la base de votre expérience d'ancien ministre de la Coopération est-africaine de votre pays, quels enseignements potentiellement utiles pour le Groupe ACP pouvez-vous livrer?

DK: Lorsqu’on décide de coopérer les uns avec les autres, il est nécessaire de se doter des outils nécessaires à cet effet. En Afrique de l'Est, nous avons commencé par essayer de promouvoir les échanges commerciaux entre nos pays respectifs. S'agissant du commerce, il est nécessaire de réaliser une union douanière. Ainsi, environ cinq ans après sa création en 1999, la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) a commencé à fonctionner comme une union douanière (2005). La deuxième phase a été l'établissement d'un marché commun en 2010. La prochaine étape sera la création d'une union monétaire et, pour finir, l’intégration politique. L'Accord de Georgetown [qui a institué le Groupe ACP], énonce plusieurs objectifs, notamment le renforcement des relations commerciales, mais il reste muet quant aux moyens de les atteindre. Il conviendrait dès lors de mettre en avant la nécessité d'une union douanière et d'un marché commun.

Je voudrais également insister sur l'importance d'un dispositif de suivi et d'évaluation. En définitive, nous devons être en mesure d'évaluer ce qui a été fait, ainsi que les structures en place, de façon à déterminer si nous sommes engagés sur la bonne voie. Ce problème s'est posé avec acuité au niveau de la CAE qui, cinq ans après, n’avait toujours pas mis en place un tel mécanisme. Les évaluations se faisaient alors sur la base des conclusions tirées de l'étude de quelques cas et tendances. Le Groupe ACP ne dispose pas non plus d'un mécanisme efficace de suivi et d'évaluation, et il lui est difficile d'établir et de quantifier, après une cinquantaine d'années d'existence, ce que lui-même a accompli ou ce qui a été réalisé dans le cadre du partenariat ACP-UE.

Nous avons également besoin d'un bon plan stratégique, comportant des objectifs, des activités et des critères de référence. L'idéal serait d'en élaborer un pour la période 2014-2020, à la lumière d'une analyse SWOT et d'un examen des intérêts des différentes parties prenantes. Nous aurions dû le faire dès le départ, mais cela n'a pas été le cas. Les activités du Groupe ACP sont plutôt déterminées par les accords de partenariat avec l'Europe, à savoir les Conventions de Yaoundé, puis les Conventions successives de Lomé et l'Accord de Cotonou aujourd'hui.

Le processus de transformation du Groupe ACP en cours doit également reposer sur un plan stratégique, sous peine de nous retrouver avec un nombre trop important de domaines d'activités, ce qui créerait une confusion et entraînerait la mise en place de nouvelles institutions.

ACPP: À votre avis, pourquoi le Groupe ACP s'en est-il tenu à cette approche pendant si longtemps?

DK: Je pense qu'à l'origine, le Groupe ACP est né d'une relation entre d'anciennes colonies et d'anciennes puissances coloniales, axée sur l'aide. En d'autres termes, cette relation est portée par le Fonds européen de développement (FED), et fait la part belle aux bailleurs de fonds. Le premier FED a été institué après l'adoption du Traité de Rome en 1959, au moment où les territoires français ont été associés à la Communauté économique européenne. Ensuite, il y a eu le deuxième FED en 1964 et, entre-temps, l'accession de certains pays à l'indépendance. Puis le Royaume-Uni est devenu membre de la CEE en 1973, avec dans son sillage ses anciennes colonies. Le Groupe ACP a été créé en 1975 en tant qu'entité autonome composée des parties à la Convention ACP-CEE de Lomé, sous le quatrième FED. Par la suite, en 2000, le champ de la coopération a été élargi au-delà de l’assistance technique et financière, pour englober également le commerce et le dialogue politique. L’aide au développement a alors été conditionnée par la "bonne gouvernance" et d'autres exigences. Toutefois, le dialogue politique se limitait généralement à la question du respect des conditions requises pour accéder aux ressources de l'aide au développement.

Pour résumer, je pense que l'Accord de Georgetown a été conçu essentiellement pour servir de cadre au regroupement des membres et aux négociations avec l'UE. Les différents éléments de l'accord de siège ACP n'ont pas été déterminés par hasard, mais par dessein. Même le budget ACP est tributaire de l'UE. Le moment est venu pour nous d'évaluer les intérêts des parties prenantes après toutes ces années. En fait, nous devons revoir nos stratégies tous les cinq ans, parce que les intérêts peuvent évoluer. Au moment de la création du Groupe ACP en 1975, il y avait neuf États UE et 46 pays ACP. Nous sommes ensuite passés, en 2000, à 15 membres côté UE et 77 côté ACP, puis à 28 États UE et 79 pays ACP à l'heure actuelle. Nous devons adapter notre approche en fonction de ces évolutions.

ACPP: Quelle est votre vision personnelle de l'avenir du Groupe ACP en tant qu'organisation internationale?

DK: Je pense qu'il faudrait créer un fonds de partenariat ACP. En fait, c'est une décision que le Groupe ACP peut prendre dès maintenant, et qui ne devrait pas être remise à plus tard. De nombreux acteurs sont disposés à travailler avec nous. Des superpuissances qui auparavant ne s'intéressaient pas à l'Afrique manifestent aujourd'hui une attention à ce continent. Nous devons simplement nous réorganiser. Nous devons montrer que nous sommes disposés à travailler avec de nouveaux partenaires, y compris avec tous les acteurs dont les objectifs ne sont pas contraires aux nôtres ou à ceux de notre principal partenaire.

Je suis également convaincu que l'union fait la force. Notre force numérique est un atout, de même que le fait que notre groupe existe depuis longtemps. Pris séparément, "A" , "C" ou "P" ne pourront jamais jouir du même respect que "A", "P" et "C" mis ensemble. Même si un pays n'a pas de relations commerciales avec l'Europe, il peut toujours bénéficier de privilèges spéciaux en vertu de son association avec un autre pays partenaire commercial de l'UE. Le Groupe ACP peut négocier collectivement sur des questions clés et conclure des accords qui lui seront favorables.

Par ailleurs, nous entretenons des relations culturelles, et nous avons des situations économiques similaires, voire des gènes communs. Si nous n'arrivons pas à travailler efficacement ensemble, quel autre groupe pourrait se prévaloir de liens de cette nature? Nous devons juste manifester notre volonté et notre engagement politiques. Il est vrai qu'en ce qui concerne les APE, nous avons, au départ, commis l'erreur de négocier séparément au niveau des régions. Mais nous ne pouvons pas corriger cette erreur par une autre, c'est-à-dire en laissant l'Afrique, les Caraïbes ou le Pacifique faire chacun cavalier seul.

PACP: Mais, croyez-vous qu'une zone de libre-échange (ZLE) ACP soit possible, compte tenu des contraintes infrastructurelles au niveau régional, notamment les coûts de transport élevés?

DK: La création d'une ZLE devrait être notre véritable objectif. Si vous prenez l'exemple du secteur de la pêche dans des pays comme Maurice et dans le Pacifique, ou le secteur des services dans les Caraïbes, vous vous rendrez compte que chaque région ACP a ses propres avantages comparatifs, une spécificité dont elle peut encore tirer avantage.

Concernant les transports, les économistes ont l'habitude de dire qu'en matière de commerce international, le coût des transactions est toujours réputé être nul. Le transport maritime, par exemple, peut être utilisé pour les échanges commerciaux dans certaines régions. Il est indéniable que le continent a des défis à relever sur le plan des transports, mais je constate qu'en Afrique, de nombreux projets visant à relier l'Est à l'Ouest et le Nord au Sud sont mis en œuvre avec des financements provenant de sources africaines. Une fois que nous aurons réglé cette question, il nous sera facile d’établir des liaisons entre nos pays et d’entretenir des relations commerciales les uns avec les autres. Ce qui importe le plus, ce sont les avantages comparatifs. Les véritables coûts que nous devons éliminer, ce sont les droits et les barrières non tarifaires au commerce.

– Presse ACP