Bruxelles, le 10 avril 2014/ ACP: Un an avant son 40ème anniversaire et après plusieurs décennies d'efforts visant à sortir ses populations de la pauvreté, le Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (Groupe ACP), qui est aujourd'hui la plus grande organisation intergouvernementale de pays en développement avec ses 79 États membres, s'est engagé dans une phase d'introspection en profondeur.

Un groupe d'éminentes personnalités (GEP) composé de 12 personnalités de premier plan et présidé par l'ancien Président du Nigéria, Chief Olusegun Obasanjo, a été constitué avec pour mandat de recueillir les points de vue des parties prenantes dans les six régions géographiques du Groupe ACP, et d'analyser les succès et les échecs passés de l'Organisation.

Le GEP présentera directement aux Chefs d'État et de gouvernement ACP, vers la fin de l'année, des propositions concernant la réorientation à donner au Groupe ACP .

"Nous devons nous projeter dans l’avenir et définir notre conception du Groupe ACP et de ses caractéristiques futures. Sera-t-il différent de ce qu'il est aujourd'hui? De nombreux changements sont intervenus dans le monde depuis la création de l'Organisation — notre structure actuelle est-elle toujours pertinente ?”, s'est interrogée Mme Patricia Francis, ancienne Directrice du Centre pour le commerce international de Genève et Présidente du comité de rédaction du GEP.

Ce comité de rédaction de trois membres, qui comprend également M. Peter Gakunu (Kenya), ancien Directeur exécutif du FMI, et M. Kolone Vaái, ancien Secrétaire aux finances de Samoa, s'est réuni à Bruxelles cette semaine pour entreprendre l'analyse des informations issues des consultations à ce jour.

Le GEP a déjà tenu des consultations approfondies dans le Pacifique, les Caraïbes, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est, et en organisera dans les régions Afrique australe et Afrique centrale avant le mois de juin. Il a également rencontré des responsables de l'UE, les ambassadeurs ACP et le personnel du Secrétariat ACP.

"Une fois que la vision, la mission et les objectifs de l'Organisation pour l'après-2020 auront été clairement définis, le cadre institutionnel pour leur mise en œuvre devra être examiné en toute priorité. En outre, un engagement politique sera indispensable pour mobiliser les ressources nécessaires pour financer le Secrétariat ACP et garantir sa viabilité" , a ajouté M. Vaái.

"La mise en œuvre de toutes ces réformes pourra nécessiter des amendements à l'Accord de Georgetown [document fondateur du Groupe ACP] ."

Coopération et commerce Sud-Sud

Dans l'ensemble, les vues recueillies lors des consultations régionales du GEP sont optimistes, le sentiment dominant étant que le Groupe ACP doit continuer d'exister. Reste à savoir sous quelle forme et avec quel champ d'action.

La question de la coopération Sud-Sud a également suscité un vif intérêt. Elle implique, s'agissant en particulier de la coopération intra-ACP, des échanges de ressources, de connaissances, de technologies et d'expériences entre les pays en développement ou au sein de ces pays, en vue de lutter contre la pauvreté et de promouvoir le développement durable.

"Il a été souligné que les Caraïbes et le Pacifique possèdent, dans le secteur du tourisme et des services, une expérience fructueuse qui pourrait être très utile aux pays africains ", a indiqué Mme Francis, de la Jamaïque.

“Par ailleurs, certains pays caribéens sont dotés d'industries extractives dont ils ont probablement su mieux tirer profit, et pourraient dès lors partager leurs bonnes pratiques dans ce domaine. Les industries culturelles et créatrices sont également des secteurs dans lesquels des relations commerciales et de coopération peuvent être établies – notamment en Afrique de l'Ouest où les industries du cinéma et de la musique sont florissantes.”

En se fondant sur son expérience directe, M. Gakunu a, pour sa part, mis en exergue les résultats obtenus par le Groupe ACP en tant qu'acteur dans les relations commerciales mondiales. Ainsi, les ACP ont joué un rôle central dans les discussions de Punta del Este et de Marrakech qui ont précédé la création de l'Organisation mondiale du commerce, ainsi que dans les négociations de Doha en déployant des efforts pressants pour obtenir des accords plus favorables aux pays en développement.

M. Gakunu a toutefois ajouté: "Au plan politique, la situation a été très difficile. Un des points soulevés est que le Groupe ACP dans son ensemble ne s'est jamais penché sur des questions politiques sensibles telles que les affaires envoyées devant la Cour pénale internationale».

Il reste également à déterminer les moyens de mobiliser une volonté politique suffisante et des ressources nécessaires pour assurer l'autonomie et l'autosuffisance de l'Organisation.

Selon M. Gakunu, la solution pourrait consister à réduire l'importance accordée au centre de Bruxelles qui abrite actuellement le siège du Secrétariat ACP et les travaux du Comité des ambassadeurs ACP. "Nous devons prendre conscience du fait qu'en continuant à travailler dans le cadre d'institutions ayant 40 ans d'existence, il ne se passera rien. Il est très difficile de réformer de l'intérieur. Mon défi, c'est comment convaincre chaque Chef d'État ACP de la nécessité de prendre l'Organisation au sérieux et de ne plus avoir Bruxelles comme centre d'intérêt .

Un contexte mondial en évolution

La scène internationale a considérablement évolué depuis l'institution de l'Organisation en 1975, en pleine période de guerre froide, dans le sillage de la vague de décolonisations intervenues dans les pays du Sud.

Aujourd'hui, au 21ème siècle, le monde se trouve confronté à une multitude de défis des temps nouveaux, avec des crises aux plans sécuritaire, énergétique, climatique et financier qui requièrent une approche rénovée de la coopération mondiale.

Entre-temps, l'UE a opéré un changement d'attitude radical vis-à-vis de ses relations traditionnelles avec les ACP, en optant pour une politique de coopération au développement multilatérale et en traitant de plus en plus avec les régions Afrique, Caraïbes et de Pacifique de façon séparée et non en tant qu'une seule entité.

Cependant, même si l'incertitude entoure le renouvellement de l'Accord de partenariat ACP-UE de Cotonou après 2020, certains misent encore sur le potentiel du Groupe ACP en dehors de l'UE.

"Le Groupe ACP tire sa force collective de plusieurs décennies de solidarité interrégionale, de négociations commerciales internationales, de coopération pour le financement du développement, de dialogue politique et de relations avec d'autres organisations internationales", a rappelé S.E. Alhaji Muhammad Mumuni, Secrétaire général du Groupe ACP et ancien ministre des Affaires étrangères du Ghana.

"Cet atout numérique peut être mis à profit pour promouvoir la cause collective de certains pays les plus pauvres du monde, en nouant des alliances indispensables avec l'Europe, mais avec aussi des acteurs émergents sur la scène économique mondiale".

Ces initiatives ont été encouragées dans la Déclaration du Sommet des Chefs d'État et de gouvernement ACP de 2012, qui préconise de "transformer le Groupe ACP de sorte à en faire un acteur mondial majeur dans la promotion d'un multilatéralisme apte à garantir la paix, la sécurité et la gouvernance démocratique". Au plan interne, le groupe de travail du Comité des ambassadeurs sur les perspectives d'avenir du Groupe ACP, présidé par l'ambassadeur Patrick I. Gomes (Guyana), met tout en œuvre pour renforcer la solidarité des États membres, avec une vision axée sur l'avenir.

Le Groupe ACP compte en son sein 40 des 49 pays les moins avancés (PMA) du monde, 36 petits États insulaires en développement (PEID) et 15 PMA enclavés. La construction de l'avenir nécessitera une pleine appropriation du processus par les États membres et un solide leadership de nature à traduire les espoirs en actions et résultats stratégiques.

– Josephine Latu-Sanft, Presse ACP