Bruxelles, le 29 avril 2017/ ACP: L’Ambassadeur d'Éthiopie auprès des pays du BENELUX et de l'Union européenne, S.E.M. Teshome Toga Chanaka, assure la présidence du Comité des ambassadeurs du Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour la période du 1er février au 31 juillet 2017. Il a partagé avec le service Presse du Secrétariat les questions prioritaires sur lesquelles sera axé son mandat au cours des prochains mois, notamment les discussions sur l’avenir du Groupe ACP, et plus particulièrement les relations ACP-UE.

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Service Presse ACP: En tant que Président du Comité des ambassadeurs, quels sont les enjeux auxquels vous accorderez la priorité au cours des prochains mois sous votre mandat?

Ambassadeur Teshome Toga Chanaka: Je crois, et c’est également le sentiment de mes collègues au sein du Comité des ambassadeurs, que nous sommes à un tournant décisif de nos relations, notamment le partenariat que nous entretenons avec l’UE, eu égard au fait que l’Accord de Cotonou signé en 2000 expirera en 2020. Tous les organes du Groupe des États ACP s’interrogent actuellement sur ce que deviendra notre partenariat ou notre Groupe après 2020. Cette préoccupation comporte deux volets, le premier est de savoir si le Groupe ACP continuera d’exister en tant que bloc uni et solide. J’estime que l’esprit actuel est d'œuvrer dans ce sens, et c’est ce qui a émergé du Sommet de Sipopo [7e Sommet des chefs d'État et de gouvernement ACP tenu en 2012] en Guinée équatoriale, mais aussi du 8e Sommet tenu en mai 2016 à Port Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée) où une décision a même été adoptée à cet égard.
L’autre volet, qui revêt la plus haute importance, concerne l’avenir du partenariat avec l’Union européenne. Il s’agit d’une question d’actualité qui mobilise tous les organes décisionnels du Groupe. Nous avons beaucoup travaillé sur ces dossiers. D’abord, nous avons mis sur pied un groupe de travail des ambassadeurs sur les Perspectives d’avenir du Groupe ACP, qui a réalisé un travail significatif en définissant ce à quoi devrait s’apparenter le Groupe ACP futur.
Ensuite, sous l’impulsion des Secrétaires généraux précédents, nous avons créé un groupe d’éminentes personnalités ACP, qui a également mené des travaux pour le compte du Groupe. L’objectif était de recenser les vues des parties prenantes concernées dans les trois régions, à savoir l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique. Dans le cadre des travaux de ce groupe, des consultations ont été menées avec les organisations de la société civile, le secteur privé, les Parlementaires, les médias et tout naturellement les institutions gouvernementales.
Ainsi, un jeu de documents ont été produits au terme de ces processus. Le Comité des ambassadeurs n’a pas été en reste, car il a organisé un certain nombre de retraites pour digérer et analyser toutes ces informations afin de définir une vision pour l’avenir de l’Organisation. Voici en quelque sorte les préparatifs que nous avons engagés à ce jour. Nous espérons que le Conseil des ministres prendra une décision concrète sur cette question.
Le travail que nous avons réalisé a porté sur la nature du partenariat. Nous avons identifié trois piliers majeurs pour notre partenariat futur [avec l’UE] au titre de la coopération intra-ACP ainsi que de la coopération Sud-Sud et triangulaire.
Le premier pilier porte sur les questions liées au commerce et à l’investissement. Il va sans dire que le rôle du secteur privé retient également l’attention à ce sujet.
Le deuxième pilier concerne la coopération au développement, un aspect crucial de notre partenariat que nous souhaitons élargir à la science et à la technologie. Bien que renfermant plusieurs éléments, le deuxième pilier ne s’inscrit pas dans le modèle et l’approche traditionnels mais plutôt dans une nouvelle orientation au titre de laquelle nous souhaitons que la coopération favorise les progrès et le développement vers la réalisation de nos objectifs sociaux et économiques, de sorte que grâce à nos partenariats et à la coopération européenne au développement, nous puissions commercer et exporter davantage, industrialiser nos économies et y opérer des transformations.
S’agissant du troisième pilier, nous avons identifié le dialogue politique et le plaidoyer, dans la mesure où les relations d’une organisation intergouvernementale comme la nôtre comporteront toujours une dimension politique.
Nous espérons que le Conseil des ministres définira pour nous les orientations et les modalités de négociation requises afin d’entrer en discussion avec la partie européenne dès septembre 2018. C’est ce que prévoit l’Accord de Cotonou. Dès lors, pour mener ces négociations, nous devons passer en revue nos principes, nos positions, nos valeurs et notre vision, définir des modalités de négociation et mettre en place une équipe de négociation.
Vous avez évoqué une nouvelle orientation de la coopération au développement. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour le Groupe ACP et ses partenaires?
En toute franchise, je crois que notre partenariat par le passé reposait sur ce que nous qualifions de relation « donateur-bénéficiaire ». Depuis 1975, lorsqu’a pris forme le partenariat ACP-UE instauré par la Convention de Lomé, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Nous sommes en 2017, et nos relations ont commencé en 1975.
Aujourd’hui, 42 ans plus tard, des mutations majeures se sont opérées sur la scène mondiale de même que dans les pays ACP. Bon nombre d’entre eux sont devenus des pays à revenu intermédiaire, même si d’autres figurent encore parmi les pays les moins avancés, étant entendu que le Groupe compte parmi ses membres de petits États insulaires en développement. Au regard de cette diversité et des efforts que nous avons déployés, je puis affirmer que des progrès significatifs ont été accomplis dans de nombreux pays ACP, ne serait-ce que sur le plan de la démocratisation, de la paix et de la stabilité. Nous estimons que le nouveau partenariat doit prendre en compte cet aspect.
Ensuite, s’agissant de la transformation de nos économies, je reste persuadé qu’un partenariat serait plus bénéfique pour nous qu'une relation donateur-bénéficiaire. Que faut-il entendre par partenariat? Notre souhait est de renforcer les échanges avec l’Europe, d’industrialiser nos économies et de modifier la structure de nos économies. Vu sous cet angle, tout partenariat au développement devrait aider les pays ACP à accroître leurs échanges commerciaux plutôt qu’à dépendre de l’aide. L’aide doit viser à soutenir nos capacités, de manière à pouvoir échanger plus de produits, entamer un processus d'industrialisation, renforcer nos propres capacités et devenir compétitifs sur les marchés mondiaux. La mondialisation nous permet d’accéder à un vaste marché mondial. Toutefois, la capacité compétitive – la compétitivité – de nos économies fait toujours cruellement défaut. Tel est l’élément sur lequel nous devons agir.
En tant que pays ACP, nous ne devons pas compter uniquement sur l’aide provenant de l’Union européenne. Loin de nous l’idée de vouloir minimiser l’importance et l’intérêt de l’aide. L’aide demeure importante. Toutefois, il faut de toute évidence réorienter notre coopération au développement.
Le changement voulu doit d’abord s’opérer au sein des ACP, et il faut reconnaître que des évolutions significatives sont intervenues à ce sujet. En tant que Groupe ACP, nous souhaitons que le partenariat soit mutuellement bénéfique. Nous savons que l’Europe a besoin des ACP tout comme les ACP ont besoin de l’Europe. C’est dans cet esprit que nous souhaitons nous retrouver en tant que partenaires, à savoir un partenariat fondé sur le respect, les intérêts mutuels et l’égalité. Nous prônons l’égalité, même si nous n’ignorons pas que l’Europe est une puissance sur le plan économique et technologique. Toutefois, notre souhait est de bâtir notre partenariat sur l’égalité, le respect mutuel et les intérêts mutuels. Tel sera à l’avenir le principe directeur de notre partenariat et de notre coopération au développement, du moins je l’espère.
Certaines questions méritent d’être prises en considération à l’échelle internationale, notamment les objectifs de développement durable, le changement climatique, le terrorisme, le contre-terrorisme, la migration, la mobilité, autant de questions que nous devons aborder de manière collective. Nous savons que l’UE à elle seule ne saurait faire face à ces questions, ni les ACP. C’est uniquement à travers un partenariat que nous parviendrons à surmonter des défis aussi gigantesques tant pour le Groupe ACP que pour l’UE.
Le Groupe est composé d’une diversité de pays membres d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Comment une telle diversité peut-elle influencer les discussions sur l’avenir?
Nous reconnaissons que nous sommes caractérisés par une diversité d'intérêts, de cultures et de contextes socioéconomiques. Toutefois, en dépit de cette diversité, nous avons pu réaliser des progrès considérables, et cela dans un esprit de solidarité et d'unité. Il est vrai que dans nos interactions en tant que Groupe ACP, l’accent est mis sur le partenariat avec l’UE, et nous en connaissons tous la raison. Cependant, il apparaît clairement, je crois, que le niveau intra-ACP, ou si vous préférez la coopération Sud-Sud et triangulaire, est tout aussi important.
Or, il existe un autre aspect majeur à prendre en considération, à savoir la politique mondiale et le multilatéralisme. Comme vous l’avez souligné, notre Groupe compte 79 membres. La partie européenne est aussi composée de 28 États membres, et peut-être bientôt 27 maintenant que des discussions seront engagées sur la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne (Brexit). Ensemble, nous formons un bloc très vaste. Le plus grand d’ailleurs dans le système des Nations Unies. Je suis persuadé que nous pouvons influencer le cours des choses dans la politique mondiale, le processus décisionnel à l’échelle internationale et le multilatéralisme, si nous œuvrons à promouvoir un intérêt particulier en tant que bloc.
Notre objectif est donc de tirer avantage de notre diversité pour en faire une complémentarité et non une source de faiblesse. Certes, il existe des intérêts divers au sein du Groupe mais aussi des intérêts communs et mutuels, que nous mettons d’ailleurs au centre de nos actions.
Quelles relations le Groupe ACP entretiendra-t-il avec les groupes régionaux ou les organisations régionales à l’avenir?
A l’évidence, nous disposons de cadres régionaux, la CARICOM (Caraïbes), le Forum du Pacifique et l’Union africaine. Le Groupe ACP, quant à lui, compte six régions [Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, Afrique australe, Afrique centrale, Caraïbes et Pacifique]. Effectivement, il est fait référence plusieurs fois aux groupes régionaux. Nous souhaitons en réalité renforcer les relations entre le Groupe ACP et les groupes régionaux, car ceux-ci jouent un rôle crucial. Certaines questions peuvent être subsidiaires pour le Groupe ACP mais s’avérer très pertinentes pour les groupes régionaux.
Je vous donne un exemple. En ce qui concerne la paix et la sécurité, les organismes économiques régionaux, tels que l’Union africaine, y compris ses organes, ont un rôle plus important et même pertinent à jouer. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas une sorte de lien entre ce que nous faisons au niveau régional et à l’échelle du Groupe.
A mon sens, le concept de complémentarité, de subsidiarité et de proportionnalité constitue le principe directeur dans le cadre des relations entre notre Organisation et les différents groupes régionaux. Ce principe existe donc et est mis en avant à chaque fois qu'une organisation régionale possède un avantage comparatif pour agir dans un domaine, épargnant ainsi au Groupe le chevauchement d’efforts. Notre ligne d’action est très clairement définie et nous continuerons d'œuvrer dans ce sens.
Quelle sera la valeur ajoutée du Groupe ACP en tant que bloc de 79 pays, sans faire double emploi avec les organisations régionales?
La valeur ajoutée du Groupe réside dans le rôle très prépondérant qu'il peut jouer dans les instances mondiales. Un exemple récent qui illustre bien ce potentiel est la contribution du Groupe à la conclusion de l’Accord de Paris lors de la COP 21, où il a joué un rôle crucial. Nous nous accordons également pour dire que le Groupe a encore un rôle central à jouer lors de la COP 23, notamment parce que Fidji, un de nos États membres préside non seulement l’Assemblée générale des Nations Unies mais aussi assurera la présidence de la COP 23, d’où l’appui que nous sommes en train de mobiliser à cet égard.
Du reste, il existe dans les pays ACP des bonnes pratiques qui ne font malheureusement pas l’objet d’un partage entre nous. Nous sommes constamment tournés vers les autres régions du monde. Heureusement, il y a une prise de conscience de plus en forte selon laquelle, je crois, nous pouvons également nous enrichir mutuellement de nos meilleures pratiques clés.
C’est dire que nous n’avons pas identifié certaines choses mais que nous avons désormais conscience qu’au sein même du Groupe ACP nous pouvons donner et recevoir.
Il est évident qu’en matière de politique mondiale, nous pouvons peser de tout notre poids dans le processus décisionnel pour autant que nous soyons résolus et engagés à agir en tant que bloc.
Interview réalisé par Josephine Latu-Sanft, Attachée de presse au Secrétariat ACP Pour plus d'informations, prière de contacter: Bureau de presse ACP, 451 Avenue Georges Henri, 1200 Bruxelles, tel: +32 2 7430617 Email: latu@acp.int
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